Le mythe de la femme potomitan
Partie 2
Mythe :
1. Récit mettant en scène des êtres surnaturels, des actions imaginaires, des fantasmes collectifs, etc.
2. Allégorie philosophique (par exemple le mythe de la caverne).
3. Personnage imaginaire dont plusieurs traits correspondent à un idéal humain, un modèle exemplaire (par exemple Don Juan).
4. Ensemble de croyances, de représentations idéalisées autour d'un personnage, d'un phénomène, d'un événement historique, d'une technique et qui leur donnent une force, une importance particulières.
5. Ce qui est imaginaire, dénué de valeur et de réalité : La justice, la liberté, autant de mythes.
Avant-propos : Pour continuer notre conversation sur la femme potomitan, nous avons invité Christiane et Pauline afin de connaitre leur opinion.
Mélissa : Nous avons voulu avoir une discussion intergénérationnelle pour que l’on puisse débattre. Nous sommes en compagnie de Pauline et Christiane. Bonjour !
Christiane et Pauline : Bonjour !
Solène : Bonjour, Bonjour.
M : Qu’est-ce que pour vous la femme potomitan ? Qu’est-ce que cela implique ? Est-ce que vous en avez une expérience directe ? Ou est-ce que vous avez vécu avec l'idéal d'être une femme potomitan ?
P : Écoute, l'idéal d'être une femme potomitan certainement pas pour moi. Bon, ça fait très longtemps que je suis militante dans des associations. Je me revendique d'ailleurs féministe, hein, sans crainte, sans tabou. Moi je dis que je suis une féministe. Cela ne signifie absolument pas une revancharde, une anti-homme. Bien au contraire. Pour moi féminisme, et j’introduis cette notion pour que vous compreniez bien ma position, c'est la revendication pour les femmes de tous les droits, les mêmes droits que pour les autres, mais pas plus. D'accord ? Pas un prétendant que la femme serait meilleure, serait plus performante, serait... non ! Chacun·e dans son rôle et chacun·e dans la totalité de ces possibilités et dans la totalité de ses droits humains. De ces attributs de personnes humaines, donc, c'est en ce sens que je suis féministe.
Le concept de la femme potomitan, pour moi, c'est d'abord un concept qui répond à quoi ? Moi je le vois comme cela : c’est-à-dire que l’on sait d'où ça vient en gros. Je ne vais pas rentrer dans le détail mais il semblerait que ce terme de potomitan, qui est commun à tous les anciens lieux d'esclavage, convenu ancien. Officiellement ou actuellement encore... ? Enfin bref ! Disons aujourd'hui ce que nous appelons les Antilles ou départements d’Outre-mer, puisqu’il semblerait que ce concept soit aussi existant à la Réunion. Il semblerait. Je ne suis pas historienne mais il semblerait. Enfin. Ça répond à quoi ? Aujourd’hui, je ne sais pas quelle a été l'évolution, mais aujourd'hui, c'est quoi l'image de la femme potomitan ? C’est la femme forte, la femme courageuse, la femme qui se sacrifie pour sa famille, pour ses enfants. La notion de femme potomitan est souvent associée, selon moi dans l’expérience que j’en ai, à la mère potomitan. Autrement dit à la femme pilier du foyer. Et ce que symbolise, le poto, le mitan, aujourd’hui est le milieu de la case. C’est-à-dire celle qui assume tout.
Le revers de la médaille à mes yeux est que dès lors qu'elle ne peut plus assumer tout comme cela tout s'effondre. Dans notre société actuelle, l’idée est que si les choses s’effondrent, si les enfants vont mal, si la société va mal...
S : C’est la faute de la femme.
P : Oui, la femme n’a pas su être assez potomitan.
M : Elle n’a pas su éduquer correctement.
P : Elle n’a pas su et ça, ça demeure en dépit de l’évolution de l’idée. Moi qui milite depuis longtemps, je me suis battue contre cette idée. Ça a été répandue comme étant souvent associé à la glorification de la femme potomitan, qui s’est sacrifiée, qui a toujours été là, qui n'a pas travaillé à l'extérieur. On le dit peu, mais qui a surtout travaillé à la maison.
S : Je trouve ça vraiment intéressant que tout de suite tu vois la femme potomitan dans la maison. On n’en arrivée à cette vision lorsque l’on a compris au premier épisode cette définition du potomitan. Le potomitan qui reste mais qui reste dans la maison, c'est-à-dire que le poteau mitan n'existe pas au travail par exemple.
P: Exactement.
S : Ce n’est pas reconnu d’être potomitan au travail.
P : On va parler de Mèt-a-Mannyòk [1]. Oui, dehors ce sera le Mèt-a-Mannyòk. Ce ne sera pas le potomitan.
M : Est-ce que tu pourrais expliquer ce que c’est le Mèt-a-Mannyòk ? Ce n’est pas tout le monde qui nous suit qui comprend.
P : Mèt-a-Mannyòk c'est celui qui dirige. Je suppose que ça vient du manioc. C'est quand même...
C : Dur.
P : Peut-être que tu peux mieux expliquer Christiane. Tu peux mieux nous expliquer cette notion.
C : Le manioc, c'est une racine, c'est une base. C'est une source. C'est une force parce que lorsque le voit le manioc, c'est une brindille. Alors qu’en dessous, tu as une force, tu as une quantité de tubercules. D'où la femme manioc, la femme costaud...On te donne nos morceaux de manioc, c'est de quoi te tenir l'estomac.
P : Oui mais souvent, est-ce que tu partages mon idée, souvent le Mèt-a-Mannyòk , c’est-à-dire celui qui dirige ce n’est pas la femme. C’est rare. On peut le dire, mais généralement il me semble que l’on parle de Mèt-a-Mannyòk pas nécessairement pour la femme ni pour le foyer. Sala ka ménné... (celui qui mène)
C : Sé pli kòsto la ! [2]
P : Très souvent sé nonm la [3] ! Enfin, pour revenir. Donc, et j’en aurais terminé là, je disais que souvent on associe justement la femme ou du moins on met en balance la femme potomitan dans la famille et la femme qui travaille à l'extérieur et souvent, que ce soit fait de façon explicite ou implicite, an ba fèy (sous les feuilles. Expression qui signifie « discrètement » « secrètement »), en bas feuille, si la société guadeloupéenne va si mal c’est que les femmes...
S : Elles marchent mal, elles s’habillent mal.
P : Les femmes n’ont plus autant leur rôle de tenir la famille y compris de la tenir seule. Il y a.…Je sais que je dérive un peu, peut-être. Alors on vous dit oui, mais le rôle du père etc., moi, je n'entrerai pas dans cela. Ce que je dirais là tout de suite quitte à ce que vous m'interrompez. C'est que contrairement à ce que l’on croit, certes le concept de femme potomitan c’est peut-être une réalité. C'est un constat d'accord. C'est que la femme a souvent été forcée et encore forcée, souvent, d'être ce pilier. Elle est forcée par la réalité des choses.
S : Et ce sont les conditions qui ont fait qu'elles deviennent femme potomitan.
C : Transmission de génération en génération.
S : Ce n’est pas un choix nécessairement.
P : Que ce soit un constat, nous sommes d’accord. Je suis d'accord. Ce rôle forcé qu'elle l'assume avec beaucoup, parfois de...
M : De grâce ?
S : De ferveur ?
P : De ferveur, d’accord. Mais que ce soit un idéal et un modèle dont nous ayons, nous les femmes, à nous faire forte et à être valorisée, je ne le crois pas pour ma part.
S : Lorsque vous grandissiez, dans quelle mesure vous l’avez entendu ? Au début, lorsque je grandissais, ça avait l’air de quelque chose de positif. C’était glorifié. Dans quelle mesure vous l'avez entendu ? Puis quelle a été votre cheminement ? Comment vous en êtes arrivée maintenant à être “contre” de cette image de potomitan.
M : Oui parce que ça demande d’aller contre la société. D’être mise au ban de la société puisque que, et je le vois comme une très forte image. Lorsque l’on ne rentre plus dans cette catégorie de femmes potomitan qui on est ? Qui on devient ? On voit que les femmes doivent être une femme potomitan, sans quoi : Qui es-tu ? Que deviens-tu ? Es-tu même une femme ?
S : Dans ce cheminement de la femme potomitan, est-ce que vous vouliez être à un moment une femme potomitan ?
C : La femme potomitan n’est pas dans ma conception de la femme parce que pour moi c'était quelque chose qui se transmettait de génération en génération. Pour moi c'est supporter du tout et n'importe quoi et lorsque l’on dit : « Non ! » On n’est plus la femme potomitan, on n’est plus responsable, on dévie. On n’est plus capable d'assumer. On laisse tout tomber. Tandis qu’à partir du moment qu'on te dit que tu es potomitan et que tu acceptes, tu dois tout assumer. Le « non » n’existe pas.
S : Sans chouiner.
C : Voilà. Sans chouiner, avec le sourire. Le « non » n’existe pas pour la femme potomitan. Tu ne dois pas dire non. Tu dois tout supporter. Ce n’est pas dans mes convictions, dans ma façon de voir.
M : Qu’est-ce que tu ressentais lorsque le « non » t’étais interdit ? Maintenant, tu es dans cette déconstruction mais par exemple lorsque tu voyais ta mère accepter ce rôle et ne jamais l'entendre dire « non » ou « c'est assez » ou « je suis fatiguée », Christiane ou Pauline, qu’est-ce que vous avez ressenti ?
C : C’est le fait de l’avoir vu qui m'a permis de me rebeller. Et de me dire jamais je vais accepter ce rôle-là. Je suis capable de dire non. De faire ce que j'ai envie de faire sans que l’on m'oblige, sans que la société m'oblige à suivre une direction toute tracée.
S : Est-ce que vous sentez que de nos jours, il y a cette pression d'être la femme potomitan ? Est-ce qu'il y a encore cette glorification ? J'avoue avoir entendu de plus en plus de femmes même dans ma famille être contre : « Je ne veux pas être potomitan, ça ne m'intéresse pas. » J'ai entendu ça plus souvent que des femmes qui voulaient ou qui se revendiquaient potomitan. Donc est-ce que vous sentez que ça change ?
P : Mon expérience est tout à fait différente. J’ai personnellement assumé beaucoup de charges, beaucoup de choses mais je ne l’ai pas fait en tant que potomitan. Je l’ai fait, c'est vrai. Je sais que j'ai eu à assumer beaucoup de choses mais j’ai eu aussi disons d'autres responsabilités que j'ai assumé. On y reviendra tout à l’heure. Pour répondre à vos questions c'est-à-dire comment j’en suis arrivée à contester, encore une fois attention, je ne conteste pas la réalité qui est vraie, que beaucoup de femmes dans notre pays et encore aujourd'hui sont amenées à être les fameuses potomitan. C'est-à-dire la charge des responsabilités à prendre, à assumer une famille et c'est ça. Mais je dis, moi, j'ai toujours entendu ça, même dans les associations, etc., et c'est de plus... Enfin et effectivement c’est glorifié et même les hommes, beaucoup d'hommes glorifient la femme potomitan. C'est devenu presque un cliché qu'on met en avant dès qu'on veut parler d'une femme forte ou d'une femme qui assume alors tout de suite ce serait ce serait être une femme potomitan. Et beaucoup de femmes justement intègrent et intériorisent cela, et se revendiquent aussi, se glorifient aussi.
S : Oui, puisque l’on a l'impression que c'est bien être potomitan c’est avoir de la force. Mais on ne voit pas le revers de la médaille.
P : C’est bien d'avoir de la force. C'est bien d'être une femme forte, c'est bien d’être déterminée et moi, j'admets ça. C'est bien de l’être pour sa famille, de l'être pour ses enfants. Mais ce que je dis, c'est que ce mythe, ce poncif de la femme potomitan a pour effet me semble-t-il de reléguer la femme à un rôle, qui est celui de mener la barque dans la famille dans le privé. On n'imagine pas parler de potomitan à propos d'une femme politique, à propos d’une femme qui a du pouvoir.
C : Dans une société.
P : Dans une administration qui mène, qui a cette force, cette détermination ! On ne va pas dire une femme potomitan. Yo ké di-y on fanm nonm [4]. Par exemple.
M : Une femme matador [5]
P : Une femme matador, tout cela. Mé yo pé ké di-y on fanm potomitan [6].
C : À partir du moment que tu tiens la maison, tu es une femme potomitan.
S : Juste la maison.
P : On te relègue à ton rôle de femme, de mère et d’épouse et on t’encense parce que tu as tout cela. J’avais envie de rire parce que tout à l’heure je pensais : Gerty Archimède est la femme que l’on a mise en avant cette année, de plus en plus. Disons aussi que pourtant, elle a longtemps été méconnue, critiquée pour ses raisons, pour ses appartenances politiques, pour sa façon de vivre, et cetera.
On a beaucoup ce scénario. Et puis subitement, tout le monde l’a découvert et tout le monde l’encense. Je suis fort aise, fort contente. Gerty est à l'origine de l'association à laquelle j'appartiens [8] et que j'aime beaucoup, qui est une des femmes, donc j'en suis contente. Mais qu'est-ce qu'on glorifie ? Est-ce qu'on imagine parler de Gerty Archimède comme une potomitan ? Jamais ! Vous n’aurez jamais vu dans toutes les glorifications, dans toutes les mises en avant, dans tous les qualificatifs élogieux, vous ne verrez jamais potomitan. Pourquoi ? Parce que et pourtant Gerty elle n’a pas eu d’enfant elle-même mais elle a élevé, elle a été chef de famille. Elle a été autre chose. Elle a été une femme qui dès « Moi, je suis dans tous les domaines, je m'affirme dans tous les domaines, politique, sociale. Je voyage. Je suis une politique, je participe à la décision au pouvoir. Je sors. Je ne suis pas que dans la famille, je ne suis pas que dans la maison. ». Ce n’est pas une potomitan.
S : Dans ce cas, est-ce que vous pensez qu'il faudrait une redéfinition du potomitan ou qu'il faudrait juste que l’on jette l'affaire et que l’on passe à autre chose ?
P : Enfin bon, chacun fait ce qu’il veut. Moi, je sais que ça me donne de l’urticaire.
S : On jette et on passe à autre chose ?
P : Non, c’est-à-dire que je le comprends. Je veux bien qu'on le dise. Je veux bien qu'on fasse des émissions où on va mettre en valeur les grands-mères qui se sont sacrifiées toute une année, toute une vie. C’est ça que l’on met en valeur. Qu’est-ce que ça veut dire aussi lorsqu’une femme potomitan est glorifiée tout le temps ? Ça veut dire qu'elle n’a pas le droit de fléchir, non ?
S : C'est ça, c'est une autre question. Quelles sont les limites qu'impose le potomitan ?
P : Ça culpabilise !
S : Nous, avec Mélissa, on s'était dit : pas de possibilité d'avoir des émotions, pas de possibilité d'être vulnérable.
C : Tout simplement, tu ne peux pas dire non !
P : Nous avons une... Comment dire ? Une facilité nous, les femmes d'intérioriser les tabous, les interdits, etc. On les intériorise. Là et comme il s’agit d’un bel exemple : « nou sé fanm potomitan. Nou ka di sa é si ou ka santi ou pa ! Ou anvi fèb ? ki jan ou pé fébli si ou sé on fanm potomitan ? » [9]. Si nous glorifions cela, d'une part, ça te ça culpabilise. Ça peut culpabiliser. Maintenant, c'est vrai que je pense que depuis, quand même, beaucoup de femmes aussi....
C : Commencent à comprendre. Elles sont perdantes !
P : Elles sont piégées.
S : Les femmes qui valorisent, se piègent elles-mêmes.
P : Tu sais, moi, je me méfie des poncifs, des choses où on répète sans réaliser, sans faire l'analyse de se dire qu’est-ce qu’il y a derrière ?
M : C'est exactement ça. C'est pour ça que l’on en parle parce que la femme potomitan a plusieurs enjeux. Pour la première partie de cette thématique, une amie m’a envoyé un message où elle me disait, et j’ai trouvé ça d’une grande tristesse puisque sa mère est décédée il y a bientôt 3 ans. Elle m'a dit qu’à son décès tout est partie avec elle. Ça revient bien à dire qu’elle était la maison. La maison reste là. Année après année elle se fissure pour un jour disparaître. Lorsqu’elle disparait, les personnes qui y vivaient n’ont plus de maison. C’est ce qu’elle devient à un moment donné la femme potomitan. Elle est, comme on en avait parlé avec Solène, physique, la maison. Lorsque la femme potomitan n'est plus, les gens autour n'ont plus de maison. Illes n'existent plus aucun lien qui rattache les gens entre eux. La famille n’est plus famille puisque la famille n'a plus de foyer, elle n'a plus de son berceau, son...
P : Son socle !
M : Exactement. Là, mon amie n’a plus de socle et lorsque j'y ai pensé je me suis dit : « Waouh ! Quelque part c’est beau parce que c'est beau de se dire qu'avec la mère il y a ces liens qui sont forts. Mais c'est se dire qu'un jour, lorsqu’elle n'est plus là les liens disparaissent aussi vite qu'ils ne sont apparus. ».
P : Ils disparaissent avec elle.
M : Ça pose la question de « l’éphémérité » de la femme potomitan puisque que lorsqu’elle est là tout va bien, lorsqu’elle n'est plus là, plus rien ne va. La maison n'est plus et avec elle tout cet héritage, tout ce bien qu'elle a essayé d'imposer n'est plus non plus. Quand elle m’a dit ça je me suis dit : « C'est vrai, c'est vrai. Lorsque la maison n'est plus là, les gens n'ont plus de repères et ne plus avoir de repères c'est être perdu. ». On a souvent l'exemple des enfants qui n’ont pas de mère en général. C'est après elles qu’ils·elles vont pleurer le plus vite. On dit souvent que les enfants qui n'ont pas de maman sont sans repères.
P : Oui et d’ailleurs c’est une expression : san manman. [10].
C : San manman !
P : On moun san manman. (Une personne sans maman)
M : C’est ça. Illes n’ont pas de repères.
P : C’est vrai.
M : Illes ne savent pas où aller. C’est triste... C’est bien qu’elle soit le guide, qu’elle soit là pour éclairer le passage. Mais finalement, on est censé·e pouvoir continuer de vivre en fait. De ne pas attendre qu'elle fasse tout. Ce sont des adultes qui ne sont préparé·e·s à rien et qui attendent qu'une autre femme prenne la place de cette maman qu'ils ont perdu, qu'ils n'ont pas eu.
P : Tu as raison. Tu sais, moi aussi je ne méconnais pas... Tu as dit quelque chose qui m'a semblé très beau, c'est qu’effectivement c'est beau la maman. On ne peut pas et attention je ne suis pas en train de jeter aux orties l’image de la mère qui est là. C’est important ! Moi, je le sais par rapport à mon propre vécu de fille, de ma mère qui était forte, etc., et qui peut-être de mon propre vécu aussi de mère aussi qui est très là ! Très soucieuse, très attentive comme beaucoup de mères. C'est normal, c'est beau. Je ne méconnais pas tout ce que ça a de beau cet attachement qu'on a pour l’enfant et que l’on va mener. Et je sais qu’aux Antilles, ça dure même quand... hein ! C'est peut-être un des points qui fait la différence. Même après, menm si ou ni senkant an...[11].
C : On manman ka rété on manman ! [12]
P : Ou ka découvè kannari la èvè manman-w. Prémyé biten lé ou ka vini manman-w ka paré on biten ! [13] C'est beau.
C : Avan ou ay manjé i ja chanjé piman-y [14]
P : Tou biten ja la é vou [15] en tant que mère inquiète ou la, ou ké kyenbé-y [16]. C'est beau. Pourtant ce que j’estime tout en reconnaissant ça, ce que je crains c’est d’en faire un modèle. Qu'on revendique. C'est ça qui est dangereux me semble-t-il. Et un mot, encore, ce qui me, j'allais dire m’agace, non disons un autre terme ? Ce qui me gêne c'est que beaucoup d'hommes mettent ça en avant. Les politiques yo ka palé [17]… Ça fait bien, ils aiment ça.
S : Parce qu'ils pensent que c'est un compliment. Parce qu'on leur a fait croire aussi que c'est un compliment.
P : Mais non ! C’est un lot de consolation ! « Mesdames zòt sé dé potomitan [18] ». L’histoire de cette valorisation, c'est un lot de consolation. « Vous n'inquiétez pas, c’est vous les chefs. C’est vous les cheffes dans la maison. ». « Les affaires de politiques, ce n’est pas important mesdames ». C'est exactement comme cette idée que l'on répand, souvent on dit : « Ouais les femmes n'ont pas pendant longtemps eu le pouvoir, n'ont pas été aux postes de décision, n'ont pas fait de politique. ». « Mais non ! Mais qu'est-ce-que c’est ? Elles ne sont pas en dessous, ce sont elles qui mènent derrière, c'est elles qui poussent l’homme. ».
S : C'est ça ! Derrière chaque grand homme se cache une femme.
P : Ça ! Cette histoire que chacun répète que sans même savoir est à mon sens un lot de consolation. « Pa chaléré zot Mesdames [19] ! C’est vous, c’est vous ! »
S : « C'est grâce à vous ! » Dans ce cas, donne-moi la paye, donne-moi le salaire !
P : « Vous n’en avez pas besoin. Qu'est-ce que vous allez faire d'avoir le pouvoir ? Mais non ! »
C : Derrière chaque homme se cache une femme.
P: Ça m’énerve cette formule !
C : Nou ka fè figurantes ! Nous sommes des figurantes.
M : Exactement. Cela va vers l’invisibilisation des femmes. On est là et on a juste un rôle dans notre vie.
S : On est derrière.
M : C’est ça, c’est de se dire : « On est juste que ça. ».
P : Oui, longtemps. Longtemps. Bon, maintenant, voilà...
M : Oui et moi je le voyais personnellement, on en avait déjà parlé durant la première partie, moi je le voyais comme une sorte de statut à avoir parce que lorsqu'on cherche à atteindre un modèle, il y a tout ce qui va avec et lorsqu’on y accède c'est un statut. Solène avait aussi émis le point que l’on est conditionné·e, que c’est inconscient. Elles se disent : « C'est fou ! Je suis là. Je suis surtout à ce point où, finalement, j'ai quelque chose parce que c'est la seule chose que l’on m'a permis d'avoir. ». C’est ce que je vois. Potomitan, c'est le seul accès de valorisation que j'ai.
C : Elles sont formatées.
P : Tu sais, je suis d'accord avec toi parce que moi j'ai vu, par mon expérience professionnelle aussi, j'ai vu beaucoup de femmes qui en faisaient comme tu dis leur modèle et puis en faisaient une sorte de revanche. Tu vois ? Ce n’est pas bon non plus. Ce que je sais aussi c'est que certaines femmes utilisent et ce concept et cette réalité pour...Ce sont des fanntchou [20] ! Ce sont des fanntchou, voilà. Ce n’est pas bon non plus. C'est une mauvaise conception me semble-t-il de l'évolution des femmes, moi comme je le disais au départ, je suis féministe non pas pour que les femmes fanntchou un homme. Non ça n'a pas de sens. J'aime par exemple celle-là, elle est femme pòpòt [21], elle aime ça parce qu'elle aime elle,
C : C'est son choix !
P : C’est son choix, voilà ! L’autre voilà, elle n’assume pas forcément le rôle d'être forte, de tenir ou la valorisation, le modèle non ? Mais elle a envie, elle au contraire, d'être...
C : D’être autre chose.
P : D’être une femme forte parce que je reconnais que nous avons des capacités extraordinaires.
S : Oui, nous sommes fortes. Évidemment.
P : Nous sommes fortes mais nous sommes fortes pour plein de choses. Souvent j’ai vu par ma profession, des femmes qui arrivaient complètement effondrées parce que leurs maris les avaient laissés généralement pour de plus jeunes. N’est-ce-pas ? C’est le schéma, d’accord. Elles arrivent complètement démotivées. Qu'est-ce qu'elles vont faire ? Elles n’ont jamais rien fait que d’être dans la maison. Je leur dis mais non, au contraire, vous allez découvrir combien vous avez de force pour toutes sortes de choses. Vous allez vous mettre à faire du sport, vous allez vous intéresser à...
C : Vous allez sortir de la maison !
P : Vous allez sortir de la maison et puis vous allez vous débrouiller pour partager les enfants.
S : « Prends, prends, prends ! ».
C : « Prends ta responsabilité ! An pa fè-yo mwen tou sèl ! [22] ».
P : Souvent les femmes disent : « Sé ti moun an mwen, ban mwen ti moun an mwen » [23]. Mais non, « sé ti moun a zot tou lé dé. Le tan misyé ka okipè dè sé ti moun la...[24] ».
C : Vou ou ka okipè dè-w [25] !
P : Il ne faut pas faire ça dans la joie, j’exagère, mais dans la générosité d’esprit. Dans la générosité d’esprit et vouloir s'épanouir, vouloir grandir, vouloir dans la générosité.
S : Ce que l'on disait aussi dans le premier épisode, c'est que la femme potomitan et ça rejoint ce que tu disais, c'est qu’elle ne permet pas aux femmes de créer une autre vision de la féminité et de la femme. Normalement on pourrait juste s'amuser. Faire du sport, etc., mais comme je suis une femme potomitan, je m'occupe de la maison. C'est la seule version de femme qui existe, ça ne permet pas de créer une autre vision de ce qu'on appelle la féminité, ce qu'on appelle la femme. C'est une fois qu'elles arrivent dans ton bureau et qu'elles sont cassées, qu'on leur fait dit : « Ah mais tu peux t'amuser, tu vas faire du sport, tu vas découvrir une autre féminité. En fait tout simplement. ».
P : « Et tu vas voir que tu peux y arriver toute seule. ».
S : Exactement.
P : Oui, pas toute seule, aidée. Mais que tu n'es pas assujettie uniquement.
S : Oui, ni à personne, ni à statut.
C : À x ou y.
M : Oui puisque vient avec femme potomitan, encore une fois je vais reparler de mon amie Arathie, je trouvais qu’elle avait fait un excellent commentaire sur la disposition des corps féminins. « Elles sont là ». Elle disait : « Lorsque je revenais de l’école maman était là, lorsque je revenais des courses maman était là. Nous on pouvait partir, ne pas penser à elle forcément dans nos têtes mais elle attendait. Elle attendait notre retour. Elle attendait que l’on revienne pour faire à manger. ». C’est ça aussi, c'est la mise à disposition et se demander si ma vie peut m’appartenir. On n’apprend pas ça aux femmes à être égoïste. Il n’y a aucun problème avec ça. On peut sortir de cette maison, certes pour s'amuser, mais pour être égoïste.
C : Penser à soi.
M : On ne sait pas, qu'est-ce que c'est. On n'a pas d'estime pour soi. On ne s'aime pas soi. On aime les autres, nos enfants, notre mari avant de nous aimer nous-mêmes. Cette mise à disposition, je la trouve vraiment horrible parce que tu es une petite chose, tu es un objet qu'on a placé sur un meuble. Et que seuls tes propriétaires peuvent te déplacer. Tes propriétaires dans ce sens assez brutal sont tes enfants et ton mari.
S : Ton compagnon.
M : Puisque tu n'attends qu’eux pour « faire ».
P : C'est ce que le sens de potomitan implique.
M : Oui, c'est ça. Cette mise à disposition, on est là, on est présent, mais jamais pour soi. J’ai l’une de mes tantes lorsque je l’entends parler je me dis « waouh ! » C’est dur. Tu ne penses jamais à toi. Elle me dit, elle est fatiguée, mais j'ai l'impression qu'elle me l'a dit parce qu’elle savait que je n’allais pas la juger. « Je suis fatiguée. ». Peut-être que les gens se rendent compte que je n’ai pas ces attentes de femmes potomitan. C’est pareil pour ma mère. « Mais pourquoi tu ne t’arrêtes pas ? ». Mon père lui dit : « Tu veux faire assistante sociale ? » Mais partout ! Pourquoi tu ne te poses pas ? Elle n’est cependant pas dans cette notion notamment parce que ce n’est pas un concept...
P : Dont elle a été pétrie.
M : Exactement, voilà. Je le vois à la maison, c’est sa maison. Si elle rentre, elle fait ceci, cela et si je veux interférer : « Ah non, non, non ! Qu'est-ce qu'il se passe là ?! ». Je veux déplacer quelque chose : « Non, je peux le faire. ». « Oui mais je suis juste à côté de l'objet en question je peux le faire. Je peux le déplacer. ».
P : On a beau dire, on est influencée malgré tout. Ce que tu dis, je me reconnais aussi tout en en refusant le concept de potomitan, en refusant de le valoriser, d'accord.
S : Parce que c'est intériorisé, quoi qu'il en soit. Il y a des répétitions de comportements.
P : Ce dont tu viens de parler à propos de ta mère c'est-à-dire : « Oui, je peux le faire. ». Je me reconnais dans ce concept. On intériorise aussi. C’est pourquoi je dis déjà qu'on l'intériorise, déjà que l’on ait par la force des choses, des réalités, ne le valorisons pas comme modèle. N’en faisons pas un modèle. Alors d'aucuns te disent : « Oui mais ce n’est pas que ça la mère. Ce n’est pas que ça le potomitan. C’est aussi celle à qui l’on fait confiance, celle à qui l’homme remet l'argent. ». Mais pour quoi faire ? Ce n’est pas elle, qui décide de ce que l’on va faire de l'argent. Elle garde l'argent d'accord. On lui fait confiance mais comment encore ? Non pas comme décisionnaire à l'extérieur.
S : Oui et on lui remet une certaine somme. Elle ne fait pas partie du calcul de la somme, de la division, de quoi que ce soit. Et puis si tu me donnes l'argent à l'intérieur du foyer, pourquoi pas à l'extérieur ? Pourquoi je ne suis pas ton chef ? Tu vois, si tu me fais si confiance que ça, pourquoi ?
C : C’est le plus souvent : « Je te donne l'argent mais pour faire les courses. ». Voilà ! C'est encore pour la maison.
S : N'est-ce pas ? « Je te donne l'argent que j'ai calculé comme étant le budget nécessaire pour la maison pour la faire tourner. ».
P : Ça aussi c'est manipuler.
S : Tu vois ? Si vraiment tu me faisais si confiance, fais-moi maire. Maire !
P : Alors, il nous faut tempérer les choses quand même.
C'est vrai que ça, c'est un modèle qui continue d'exister. Mais c'est vrai qu'à côté de ça vous avez heureusement, beaucoup de femmes, de jeunes ou moins jeunes, qui réagissent contre tout ça et qui se prennent en charge, prennent en charge notre destin entre guillemets, qui participent, font de plus en plus de sport. Ça on l’a vu. Je pense que ça, c'est une particularité de notre pays par rapport à d'autres, des femmes qui s'impliquent. Le nombre de femmes politiques que nous avons, la parité. Tout ça, c'est bien. Ce ne sont pas des femmes potomitan au sens que l’on entend. Ce sont des femmes fortes. Moi, je reconnais que nous avons comme je le disais, cette force qui nous permet dans tous azimuts.
C’est le jour où justement, des modèles éculés de soi-disant modèles valorisés auront disparu où seront moins mis en avant que les femmes tout naturellement, sans que ce soit quelque chose d'extraordinaire occuperont tout l'espace privé et public. Tout naturellement. C'est normal, c'est la moitié de l'humanité. Pourquoi pas à mon sens ?
S : Pourquoi pas exactement ?
M : C'est sûr. Il y a juste quelque chose auquel je viens de penser en pensant à ma mère. Ma mère est bretonne et lorsque tu parles de réalité, c'est assez fort puisqu'une personne extérieure ait intériorisé elle-même le modèle. Elle est ici depuis une vingtaine d'années et il a suffi de peut-être moins. Je pense clairement de moins pour qu'en fait, elle assume ce rôle-là, sans le revendiquer.
S : C'est tellement dans l'air guadeloupéen, on l'entend, on le sait donc on l'intériorise.
P : Alors je suis contente que tu dises ça parce que c'est pareil et là aussi, je vais peut-être déplaire, cet esprit de sacrifice des mères, j'ai besoin d'être là, toujours. Est-ce que c'est une particularité des femmes antillaises et tout ? Je ne sais pas.
S : Je ne sais pas. Je ne pense pas que c’est nécessairement une particularité, mais je pense que pour nous c'est encore plus fort parce que, comme on l'a encore mentionné, dans le passé esclavagiste par exemple, l'enfant avait le statut de la mère, donc ça a toujours été la mère, la mère, la mère, la mère.
P : Alors je suis contente parce que pour moi c'est ça, d'accord et c’est pourquoi je dis que valoriser, mettre en avant, je trouve que c'est un antinomique. On ne peut pas à la fois dénoncer ce qu'a été l'esclavage, d'énoncer ce qu'a été la colonisation et mettre en avant des modèles dont on nous dit qu'ils sont issus de l’esclavage. Alors on va nous dire : « Ah, c'est la culture ! Vous allez à l'encontre de la culture ! ».« C’est notre culture nous ne pouvons pas y toucher. ». « C’est notre culture. ». « Il ne faut pas y toucher. ». « Vous avez une autre analyse c'est que vous refusez notre culture… ». Ah moi, ça me gêne ça. Je ne sais pas, je ne suis pas sûre.
M : C’est pour ça que le terme de potomitan, c’est ce que nous avons dit dans le premier épisode, on ne peut pas en parler seulement en un seul épisode. Là, nous en sommes à notre deuxième partie. Tu parles précisément d’esclavage puisque nous sommes une ancienne colonie esclavagiste, je pense que l’on est toujours dans cette phase de la décolonisation. Ça nous demande finalement d'interroger tout. En tout cas, ça montre bien que comme tu dis : Comment est-on capable de valoriser un modèle qui...?
P : Qui nous dessert.
M : Dont on a hérité, voilà. On sait que ça provient de cette structure familiale, que cette structure familiale est toujours présente et qu'elle est surtout la partie visible des inégalités qu’il y avait entre les personnes de différentes races d’un point de vue sociologique. Femme noire, tu étais seule. Si je prends l’exemple d’une autre race, j’entends mulâtre, le papa. On savait qu’il n’était pas trop loin. Mais femme noire, tu es seule.
S : Le papa des mulâtres il travaillait.
M : Il travaillait ou il était le maître ou il veillait sur tous ces petits mulâtres. Femme blanche, le papa était là. Ces structures familiales vont de pair avec des types de peau aussi. Si je regarde certaines de mes ami·e·s, leur mère les ont élevés seules parce qu’à un moment le papa a foukan (foutre le camp). Je ne pense pas à ces structures familiales héritées de l’esclavage mais si on y regarde de plus près, que je regarde attentivement leur couleur de peau et je serais pourquoi toi ton papa n’a jamais été là. Il n’a jamais été présent et il sera là de temps en temps. Et comme on a dit ils choisissent à qui ils vont donner leur éducation. Mais on se rend compte que cette structure familiale a une couleur de peau et cette couleur de peau...
P : Tu crois que c'est avec une couleur de peau ?
S : Historiquement.
P : Historiquement c’est sûr. Les clivages sociaux sont liés, c’est sûr. Que l’on regarde loin.
M : Oui, voilà et puis. Et puis moi, personnellement, je n'ai pas besoin d'aller très loin parce que si je regarde mon père, bon voilà. I pa té ni pon papa [26]. Il a été élevé par sa grand-mère donc il n’y avait pas de père. Il n’y avait que la femme. Il a refusé par la suite l'éducation de son beau-père parce que pour lui ce n’était pas son père.
P : A pa papa an mwen ! [27]
M : Exactement. Si l’on observe le grand-père d’une de mes amies qui est blanche créole, le monsieur était là. Si l’on observe le grand-père de mes ami·e·s métis·se·s, le grand-père était là. Moi ça m’interroge.
S : Ce n’est clairement plus comme ça.
M : Oui c’est sûr. Ce n’est pas plus aussi tranché.
P : Oui mais il y a quelque chose qui demeure.
M : La structure matrifocale, la matrifocalité c’est ce dont nous allons parler dans le troisième épisode. La matrifocalité est liée à la couleur de peau parce qu'elle est apparue avec l’esclavage.
P : De cette classification.
M : Il y a aussi les familles monoparentales.
P : Alors là on dépasse, encore que ça rejoint à cette évolution qu’il y a eu et que d'aucune d'aucun mettent vraiment en avant. Une période qui remonte peut-être à 40 ans ou les familles monoparentales existaient mais que le père revenait, sortait. Puis il y a eu cette fameuse évolution, cette fameuse loi de ce qu'on appelait voilà la loi que Giscard d'Estaing avait instaurée...
C : L’allocation femme seule. Qui incitait les femmes !
P : À être seule et voilà. Ça été vraiment quelque chose d'horrible parce que la condition pour... Par exemple en France, ça s’appelait « parent isolé ». C'est différent que « femme seule ». En Guadeloupe et aux Antilles ça s’appelait « femme seule ». Cela veut dire qu’il fallait que la femme soit seule et ça a créé du drame épouvantable. Alors tu avais des femmes qui avaient leur homme, d‘accord, qui venait et l'enfant savait. Mais à partir d’un moment il ne fallait pas qu’il y ait d’hommes pour pouvoir toucher l’allocation. Il y avait des enquêtes et la sécurité sociale venait, rentrait chez toi.
C : L’homme ne pouvait dormir dans la maison.
P : Il ne devait pas y avoir de pantalons !
C : Il ne devait pas y avoir de caleçon !
P : Ce n’est pas une blague.
C : C’était une réalité.
P : Résultat des courses soit l’homme à deux heures du matin té ka foukan [28] !
C : Soit ou té ka vinn an kachèt [29] !
P : Bon, ça a toujours existé dans les familles : le père il va, il vient mais il y avait au moins la référence au père. On savait qu’on verrait le père, peut-être une fois le dimanche. Le dimanche il venait avec la viande puisque c’était comme ça avant. Il y avait quand même ce rapport, il y avait quand même cette famille. Même si le père c’était épisodique. Il y en avait aussi qui venait fréquemment. Il ne faut pas jeter tout l’opprobre sur les pères de la Guadeloupe. Mais à partir de cette histoire de femmes seules...
C : Oui, il y a eu des dérives !
P : Il y a eu des drames épouvantables. Les femmes repoussaient les hommes et disaient aux enfants de dire : « ou pa ni papa » [30]. Voilà. C’est vrai que ça a marqué. Ça coïncide aussi avec une période de délinquances, de familles qui volent en éclat, qui n'existent plus, c'est vrai. Finalement les femmes, et il y en a donc qui étaient d'autant plus légitimes à assurer le rôle de femme potomitan.
C : Oui puisque pour percevoir cette fameuse allocation à l'époque, il fallait quand même avoir un gosse et être considérée femme seule.
P : Oui parce que « parent isolé » c'est papa ou maman. Là, c'est femme seule.
S : Mais de toutes les manières, moi je pense que dans notre histoire, encore depuis l'esclavage, il y a toujours eu un effort du pays colonisateur, entre guillemets, de briser la famille. Je pense que ça allait complètement dans l'effort de garder le père hors de la maison pour détruire la structure familiale et la famille pour...Enfin, ça fait partie du système patriarcal, capitaliste, colonial, et un impérialiste, et cetera. De cette façon agressive de nous mettre sur un piédestal mais qui en fait reste à l’intérieur de la maison.
P : Oui et certaines femmes continuent de valoriser le potomitan. Est-ce que vous avez entendu des femmes qui justement mettent en valeur le concept ?
M : Oui.
S : Ah oui ! Tout à fait !
C : Qui revendiquent même !
S : On y voit que le côté fort, c'est puissant. Oui et on ne veut pas non plus cracher dessus. Oui c’est bien d’être forte mais à quelles conditions ? Aucune faiblesse, aucune vulnérabilité, aucune émotion. Un rejet inconscient ou conscient du père.
P : Aucune participation à autre chose.
S : En y pensant, je me rends compte que peut être cette vigueur avec laquelle on a accepté la femme potomitan en tant que femme racisée, c'est parce qu’aussi la femme a toujours été cet objet fragile en fait. C’était peut-être en réponse à cette idée de la femme fragile, sensible, etc. Non, la femme est forte ! On peut être l'une et l'autre.
M : Pour moi, je suis ne suis pas tout à fait d’accord puisque les femmes racisées n’ont jamais eu la faiblesse des « femmes blanches ».
S : Oui, c’est exactement ça. C’est ce que je dis. La femme blanche, qui a toujours cette faiblesse.
M : Ah, d'accord ! En disant que les femmes fortes, les femmes noires ont toujours été « fortes », à aucun moment on leur a permis de ne pas être forte en fait.
S : C'est ça, exactement. Moi je disais que la raison pour laquelle on a cette ferveur de dire femme potomitan, certaines en tout cas, c'était peut-être en réponse à cette image de la femme sensible que la société a essayé de construire. Pas la femme noire évidemment. La Femme !
P : La femme de façon universelle. Le sexe faible.
S : Voilà exactement. Lorsque l’on a entendu cette affaire de potomitan on s’est dit “Ah génial, c’est mon aubaine pour ne pas être faible” Mais en fait on s’est emprisonnée dans quelque chose...
C : Dans un carcan qui t'empêche d'avancer.
P : C'est une réflexion que je mène depuis très longtemps et je ne suis pas toujours suivi, même dans mon association. Mais ce n’est pas grave. Les choses avancent.
[1] Créole guadeloupéen, traduction : Leader, responsable, chef
[2] Créole guadeloupéen, traduction : C’est le plus costaud !
[3] Créole guadeloupéen, traduction : C’est l’homme
[4] Créole guadeloupéen, traduction : Ils lui diront une femme-homme
[5] Femme forte à l’intérieur et l’extérieur de la maison.
[6] Mais ils ne lui diront pas femme potomitan
[8] L’Union des femmes Guadeloupéennes
[9] Créole guadeloupéen, traduction : Nous sommes des femmes potomitan. Nous disons ça et si nous sentons que nous ne pouvons pas. Tu faiblis ? Comment tu peux faiblir si tu es une femme potomitan ?
[10] Créole guadeloupéen, traduction : Ne pas avoir de ma maman ; sans maman
[11] Créole guadeloupéen, traduction : Même si tu as cinquante ans
[12] Créole guadeloupéen, traduction : Une maman reste une maman
[13] Créole guadeloupéen, traduction : Tu découvres la marmite avec ta maman. Première chose qu’elle fait lorsque tu viens c’est te préparer quelque chose à manger
[14] Créole guadeloupéen, traduction : Avant que tu ne me manges, elle a déjà changé son piment
[15] Créole guadeloupéen, traduction : Tout est déjà là et toi ; tout est déjà prêt et toi
[16] Créole guadeloupéen, traduction : Tu es là, tu vas le tenir ; Tu es là, tu vas le garder
[17] Créole guadeloupéen, traduction : Ils parlent
[18] Créole guadeloupéen, traduction : Vous êtes des femmes potomitan
[19] Créole guadeloupéen, traduction : Ne vous inquiétez pas mesdames
[20] Créole guadeloupéen, traduction : Personne qui tente de nuire à autrui selon Errol Nuissier
[21] Créole guadeloupéen, traduction : (poupée)
[22] Créole guadeloupéen, traduction : Je ne les ai pas fait toute seule
[23] Créole guadeloupéen, traduction : Ce sont mes enfants, donne-moi mes enfants.
[24] Créole guadeloupéen, traduction : Ce sont vos enfants à tous les deux. Le temps que le monsieur s’occupe des enfants
[25] Créole guadeloupéen, traduction : Toi tu t’occupes de toi
[26] Créole guadeloupéen, traduction : Il n’avait aucun papa
[27] Créole guadeloupéen, traduction : Ce n’est pas mon papa
[28] Créole guadeloupéen, traduction : Il foutait le camp
[29] Créole guadeloupéen, traduction : Soit tu venais en cachette
[30] Créole guadeloupéen, traduction : Tu n’as pas de père